Nous sommes sans voix. La sidération bien sûr. Mais aussi…
Laisse-moi te raconter.
En Octobre, Pierre vient me voir et me dit : « ok, y’en a marre, le climat est morose, ça pue la peur, tout le monde est figé, viens on lance un truc, un truc énorme, on casse le cochon, on met nos économies dans la balance, on embringue toute l’équipe, 25 personnes, on fait un truc énorme 3, 4, 5000 personnes. On le sort là en Juin. Tout droit».
C’est complètement délirant comme idée, donc bien sûr je dis oui. On s’emballe, on parle d’ode à la ville, à ses altérités, d’hommage à la curiosité urbaine, à l’énergie de la rencontre. On parle d’un couple de skateurs qu’on suivrait dans la ville : foncer, tracer dans les rues, ouvrir les portes, sans crainte de l’autre…
Tu commences à me voir venir...
En Novembre, on essaie de préciser : c’est bien joli nos intentions, mais quand tu parles à 5000 personnes, il faut être très concret sinon personne comprend rien et cela ressemble à une fête à la saucisse.
Je propose ce pitch :
« En 2025, pour des raisons de sécurité sociale et sanitaire, un décret restreint les déplacements de la population à un périmètre autour de leur habitation. On est la veille de l’application du décret. »
Tu connais la suite…
Mi mars, nous étions en résidence, toute l’équipe, sur ce projet.
Tous à fond, ça avançait bien. Et à mesure que nous parlions de ce qu’il se passait dans le spectacle, de comment prendre le contrepied de ce décret, pour aller vers la jubilation… le réel nous rattrapait. Jusqu’au vendredi soir, où l’on s’est quittés en se disant qu’on ne se reverrait peut-être pas de sitôt.
Nous discutons en ligne. Nous reprenons le spectacle. Nous n’aurons sans doute plus besoin de cet argument, ce décret, qui permettait de renforcer nos intentions. Restera la célébration du ÊTRE ensemble dans la ville.
Il y a encore un mois, cela aurait fait naïf, nunuche, paroles creuses, de dire cela.
À présent, nous prenons patience, et sans hâte, attendons, le jour d'après, où nous pourrons fouler avec vous de nouveau le bitume et, réunis, prendre soin avec une force nouvelle de notre liberté à exister dans l’espace public.
À très bientôt.
Stéphane